Analyse des freins et facteurs de popularité de la Médecine Chinoise en France
Dans le cadre de son mémoire (1) pour l’obtention du double Master en relations internationales entre Sciences Po Paris et l’Université de Pékin, dirigé par le professeur agrégé Chen Changwei, Daphné Gatté a analysé les facteurs renforçant la popularité de la Médecine chinoise (MTC) en France. Son étude l’a conduit à réaliser plus de 100 heures d’observations dans 7 écoles, plus de 50 entretiens avec des praticiens (médecins conventionnés et non-médecins), une enquête renseignée par 63 praticiens en ligne et un questionnaire comparatif administré à 311 étudiants en médecines et 652 hors médecine. Un dernier questionnaire, renseigné par 1204 Français (analysé en respectant les catégories de sexe, d’âge et socio-professionnelle de l’INSEE) montre le point de vue d’une tranche plus large de la population Française vis-à-vis de la MTC. Ce travail de compréhension de la perception de la MTC en France révèle une spécificité française et des enjeux d’adaptation aux réelles attentes des usagers.
Une étude de perception pour les instances chinoises révélatrice d’une spécificité française
La MTC est actuellement répandue dans plus de 160 pays dans le monde grâce notamment à un regain d’intérêt pour les médecines traditionnelles. Les instances officielles chinoises considèrent que le moyen d’encourager la mise en œuvre de la MTC dans différents pays est de l’adapter aux normes culturelles nationales de santé. Pour les pays occidentaux, il semblerait que la MTC gagnerait en popularité si elle était en mesure de se conformer aux normes de la biomédecine qui est acceptée comme la norme culturelle en matière de santé. L’étude de Daphné Gatté réfute cette suggestion pour le contexte de la France, démontrant que les composantes modernes et scientifiques (respectant les critères allopathiques) ne sont pas à la base de la popularité de la MTC au sein de la population française. Son étude tente de pallier le manque d’enquêtes quantitatives rendant encore difficile l’évaluation de la popularité moyenne, du degré de confiance et de perception de la MTC au sein de la population française.
Les enjeux d’adaptation de la MTC en France
Cette étude décrit et analyse la popularité, la perception et les représentations de la MTC au sein des différentes populations françaises : (1) les praticiens (2) le secteur médical et (3) le grand public. Les résultats montrent des disparités entre et au sein des groupes mais révèlent des tendances générales : les Français sont réceptifs à l’utilisation de la MTC, souhaitent généralement l’expérimenter en complémentarité de la médecine conventionnée, à l’exception de ceux qui sont déjà sceptiques à l’égard de la médecine biologique qui souhaitent l’utiliser comme alternative à part entière. Cette étude conclut que le potentiel de la MTC pour gagner en popularité ne vient pas de sa capacité à s’adapter aux normes de la médecine conventionnée occidentale, mais plutôt de son caractère « traditionnel » ou « exotique » et de son efficacité qui est basée sur des ressentis. L’enjeu pour le système médico-légal français reste de s’adapter à la réalité du secteur actuel de la MTC composé majoritairement de non-médecins praticiens, de s’adapter aux recommandations internationales en matière de reconnaissance des praticiens et de la pratique, ainsi qu’à l’importance de l’intérêt porté par les usagers français.
Un système actuel qui ne convient ni aux praticiens ni aux usagers
Le nombre de praticiens augmente avec l’intérêt croissant porté aux médecines traditionnelles alors que la plupart ne sont pas reconnus, car n’étant pas médecins conventionnés, quel que soit leur formation en école privée ou à l’étranger. Cependant, le contexte n’est pas favorable non plus aux médecins conventionnés en raison d’un déni de leurs pairs mais également d’un contexte légal qui leur est financièrement défavorable. Le système légal actuel semble ne satisfaire personne : ni les usagers qui doivent pour la plupart payer de leur poche les séances, ni les praticiens non-médecins qui ne sont toujours pas reconnus, ni les médecins acupuncteurs qui sont dénigrés par leurs pairs et restent moins bien rémunérés sauf s’ils se déconventionne.
Il réside une incompréhension du grand public vis-à-vis de la légalisation des praticiens et des pratiques de MTC en France. 86% des répondants considèrent qu’une personne ne disposant pas de diplôme de médecine mais ayant obtenu un diplôme après cinq années de formation devrait être autorisée à pratiquer l’acupuncture.
Quelques résultats bruts de l’étude :
Les étudiants en médecine sont beaucoup plus sceptiques vis-à-vis de la MTC que les autres (une confiance de 1,7/4 pour les étudiants en médecine comparée à une confiance de 2,1/4)… sauf pour ceux qui l’ont testé en tant qu’usagers.
51% des Français interrogés sont prêts à essayer la MTC, 39% seulement en complément de la médecine occidentale pour seulement 10% de réticents. L’étude confirme que les moins de 30 ans sont réceptifs à la MTC et à sa digitalisation.
Les femmes sont davantage prêtes à essayer la MTC (94% des interrogées), les hommes restants tout de même très réceptifs (85% des interrogés).
Les catégories socioprofessionnelles supérieures sont plus promptes à passer à l’acte alors que les autres catégories restent aussi très intéressées par la MTC, ce qui confirme un frein lié au manque de remboursement des soins.
Les ventouses sont considérées comme la pratique la moins sûre mais cela reste raisonnable avec 5% des répondants les qualifiant de dangereuses, pour seulement 2% considérant l’acupuncture comme potentiellement dangereuse et des scores quasi-nuls pour la pharmacopée ou les massages.
81% des interrogés pensent que la MTC devrait être au moins en partie prise en charge par la sécurité sociale.
Les Français interrogés ont utilisé la MTC en majorité pour des douleurs et des maladies chroniques (causes physiques). Ils l’ont majoritairement utilisé en complément de la médecine classique pour son côté naturel (13%), pour éviter des traitements médicamenteux (11%), pour soigner des maux que la biomédecine n’avait pas pu soigner (8%) ou pour être traités de manière holistique (7%).
- Gatté Daphné (2021). Au-delà des normes culturelles de la biomédecine : analyse des facteurs renforçant la popularité actuelle de la Médecine chinoise en France contemporaine. Mémoire pour l’obtention du diplôme de double Master en Relations Internationales entre Sciences Po Paris et l’Université de Pékin sous la direction de Chen Changwei de l’Université de Pékin
Laisser un commentaire